Pour essayer de répondre aux questions liées à la migration et au développement durable, la clinique d’expertise juridique et sociale (CEJUS) en collaboration avec l’Université de Lomé, a organisé les 16, 17 et 18 novembre 2021 derniers, la 3ème édition du forum harmattan. En vue de creuser davantage et d’aborder la question de la traite des personnes en général et des enfants en particulier en lien avec les réalités de la préfecture de Bassar, Global Actu s’est approché d’un paneliste, Victorien Komi Nagbe, magistrat, Procureur de la République près le Tribunal de Bassar (environ 390 km au nord du Togo), pour obtenir des éclaircissements.
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Vous avez participé à la 3e édition du Forum Harmattan organisé par la Clinique d’expertise juridique et sociale (CEJUS-Togo) et l’Université de Lomé beaucoup plus axé sur l’immigration clandestine qui se remarque dans les rangs de la couche juvénile. Quelles ont été les motivations du choix de cette thématique ?
La Clinique d’expertise juridique et sociale (CEJUS-Togo) en collaboration avec l’Université de Lomé a effectivement organisé le Forum harmattan qui était à sa 3ème édition cette année. Le thème de cette rencontre était « migration, traite des êtres humains et développement durable ». Cette thématique est d’actualité. La question des migrations sous tous ses aspects y compris la migration clandestine et la traite des personnes impactent négativement le développement de nos sociétés. Dans une perspective d’analyse de ce que nous appelons aujourd’hui le développement durable, il est de bon ton d’aborder ces thématiques. Mais il appartient aux organisateurs de décliner vraiment les motivations qui ont sous-tendues le choix de ce thème.
Le Forum avait abordé la thématique de la traite des êtres humains et de la dignité humaine avec un accent particulier sur la traite des enfants. Quelles étaient les grandes conclusions issues des discussions sur ce thèmes ?
Le septième panel que j’avais eu l’honneur de modérer, était meublé de trois communications. D’abord, il s’agissait de faire le point sur la question de la traite des êtres humains au Togo, ensuite, sur ce qui se fait sur le plan régional en termes de la traite des êtres humains et enfin l’aspect international de la traite des êtres humains, vu sous l’angle du droit pénal international.
En tant que Procureur officiant dans la préfecture de Bassar, avez-vous eu vent de l’existence du phénomène de la traite de personnes dans cette localité ?
Je peux répondre par l’affirmative et sans hésiter, d’autant plus que ce phénomène est une réalité dans la préfecture de Bassar, même si on en parle très peu. Il y a des procédures qui sont enclenchées régulièrement sur cette question. Cela voudrait dire que c’est un phénomène qu’il faut combattre sur le plan local.
Avez-vous pensé à un mécanisme à mettre sur pied dans ce processus de lutte contre ce phénomène sur le plan local ?
Je suis magistrat et en tant que tel, ma mission est essentiellement de faire appliquer la loi. Il y a toute une procédure qui peut être mise en place lorsqu’une personne est suspectée d’être auteur d’une telle infraction. Le code pénal prévoit des dispositions répressives en matière de traite des personnes. Il appartient par ailleurs, à ceux qui œuvrent dans ce domaine y compris les autorités locales, d’organiser des campagnes de sensibilisation parce qu’il y a un travail à la base qui doit être fait pour que les populations comprennent pourquoi l’on doit lutter contre ce phénomène. Et ces sensibilisations doivent commencer par les parents eux-mêmes qui, par ignorance laissent leurs enfants partir au Nigéria, au Gabon, au Bénin au Ghana ou à Lomé, pour être exploités sans savoir qu’ils tombent eux-mêmes sous le coup de la loi se faisant. Nous invitons aussi les pouvoirs publics, les chefs cantons et des villages, les maires et les hommes de médias à organiser, chacun en ce qui le concerne, des sensibilisations pour marteler et attirer l’attention des uns et des autres sur les conséquences néfastes de ce phénomène et les risques encourus lorsque les gens se laissent aller à ces pratiques peu orthodoxes. Voilà ce que je pense que l’on puisse faire pour résorber un tant soit peu le phénomène de traite des personnes en général et des enfants en particulier. Pour ce qui nous concerne, chaque fois qu’il y aura une saisine, nous mettrons en place la procédure adéquate pour assurer la répression de ces infractions.
En termes de procédure, pourriez-vous nous dire un peu plus sur ce que prévoit la loi en matière de traite des personnes en général et des enfants en particulier ?
Sur ce plan, il y a des dispositions précises dans le code pénal. Il s’agit en l’occurrence des articles 317 et suivants, qui s’intéressent à la traite des personnes, du trafic illicite des migrants par voies terrestre, aérienne et maritime. L’article 317 donne une définition claire du phénomène en disposant que c’est le fait de recruter, de transporter, de transférer, d’héberger ou d’accueillir des personnes par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, ou abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité ou par l’offre ou l’acceptation de paiement ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant l’autorité sur une autre aux fins d’exploitation. Il y a donc trois éléments fondamentaux qu’il faut retenir dans cette disposition à savoir : les voies par lesquelles la traite se fait, les moyens employés et la finalité. L’article 320 quant à lui, parle spécifiquement de la traite des enfants et de toutes les mesures y afférentes.
Ces dispositions légales sont-elles efficaces à vos yeux ?
C’est vrai qu’au cours du Forum le débat avait aussi tourné autour de cette question : l’efficacité des dispositions légales, leur adéquation à la problématique de la traite. Ce qu’on a pu noter est que le législateur togolais a opté pour la sévérité du point de vue des peines qui sont prévues pour réprimer le phénomène de la traite. C’est un phénomène qui est criminalisé et donc les peines sont très lourdes. On se pose la question de savoir, si la sévérité est la voie la plus indiquée pour lutter contre le phénomène. La réponse est mitigée d’autant plus que la sévérité dont fait preuve le législateur pénal a pour ambition de décourager toute entreprise favorisant les infractions de traite des personnes en général et des enfants en particulier. Par exemple, l’article 321 qui réprime la traite des enfants dispose que, outre ce qui est prévu par l’article 320, le maximum de la réclusion attend et une amende de 25 à 100 millions de francs CFA, sont applicables contre tout auteur ou complice. Le législateur sévit davantage lorsqu’il s’agit des complices qui sont souvent les parents de ces personnes ou enfants victimes de la traite. La question qui se pose est de savoir si ces textes peuvent vraiment être appliqués quand on connait les raisons qui expliquent le phénomène et les pesanteurs sociales qui entourent la question. Ceci fait qu’il y a plusieurs dénonciations mais peu de procédures. Aussi faut-il s’intéresser au niveau de compréhension de la question par les parents eux-mêmes qui viennent se plaindre alors qu’ils tombent sous le coup de la loi en tant que complices pour avoir laissé leurs enfants partir en aventure. Je pense que la loi est sévère dans le sens de décourager ces pratiques oui, mais à mon humble avis, le législateur aurait pu choisir le juste milieu pour que l’exemplarité de la peine puisse aussi être un élément qui décourage. Par exemple, une peine d’emprisonnement allant de six mois à trois ans à l’égard des parents et complices peut s’avérer plus exemplaire. C’est mieux que les dix ans et plus prévus par la loi. Voilà la précision que je comptais faire sur la question.
Les organisations de la société civile sont les vocables par lesquels la lutte contre le phénomène de la traite des personnes se fait. Existe-t-il de ces organisations dans la localité de Bassar ?
Il existe évidemment des organisations de la société civile qui œuvrent activement dans la lutte contre la traite des personnes et surtout des enfants. La liste est longue mais je peux citer pour ce que je sais, les deux que sont : Born Fonden et CREUSET-Togo. Il doit y avoir également des associations qui militent de façon générale pour le bien-être des enfants et de façon spécifique dans le combat de la traite des enfants.
Quel conseil donnerez-vous aux populations et à nos lecteurs dans le sens de lutter conte le phénomène de la traite de personnes en général et des enfants en particulier ?
Pour finir, je crois qu’il y a un travail d’information, de formation et de sensibilisation, chose la plus importante qui doit être faite à l’endroit de la population. Une chose est de réprimer mais l’autre est de faire comprendre les raisons de la répression. Il faut donc multiplier les occasions pour pouvoir sensibiliser les couches concernées. Conscientiser les enfants et les adultes qui sont victimes de ce phénomène. C’est donc un grand travail d’éducation qui doit être fait aussi bien dans le rang des médias, que des personnes ressources, de la société civile pour ainsi faciliter la tâche aux praticiens de la loi.
Un mot de fin ?
Je vous remercie pour l’opportunité qui m’est offerte pour me prononcer sur la question de la traite des personnes. Comme je le disais au départ, c’est un forum de trois jours qui a abordé la thématique des migrations et de la traite des êtres humains, et un panel d’à peine deux heures qui a spécifiquement parlé de la traite des enfants. C’est juste pour signifier qu’il y a tellement à dire là-dessus mais les occasions manquent pour cela. Cette opportunité m’a donc permis de parcourir quelques aspects importants de la question. D’autres initiatives allant dans ce sens seront les bienvenues.
Interview réalisée par Richard MAO